Depuis le début de la pandémie, les familles musulmanes ont d’extrêmes difficultés pour enterrer leurs défunts. Comme la majorité des gens de sa génération, Karim avait prévu de se faire inhumer au pays. Ce qui est impossible car il est mort du Covid-19. Dans la commune du Val-de-Marne où il habitait, le cimetière ne compte pas de carré confessionnel musulman. «Nous avons demandé à la municipalité limitrophe. Il y faisait ses courses, y avait des amis, s’y rendait chez le médecin, mais cela nous a été refusé», explique Mohammed, son fils, à Libération.
L’impossibilité de respecter les rites funéraires musulmans pour accompagner les morts, vécue comme une épreuve supplémentaire, a poussé les autorités religieuses à s’adapter à la pandémie de Covid-19, tout en essayant de rassurer les fidèles, rapporte France 24.
« Depuis que les êtres humains sont sur Terre, ils font des sépultures, ils font des rituels du deuil. Toutes les cultures en ont et là, on sera obligés de ne plus en faire. Donc ça va provoquer des angoisses et de grands malaises parmi les survivants, pendant les mois et les années qui suivent. » Ces mots prononcés par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik le 25 mars sur France Inter, sont aujourd’hui la cruelle réalité pour nombre de familles endeuillées par le coronavirus. Particulièrement les croyants.
Des victimes du Covid-19 considérés comme « martyrs » en Islam
« Le contexte d’épidémie existe déjà dans la religion musulmane, rappelle à France 24 Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM). Il fallait que nous informions les fidèles sur ces règles exceptionnelles. L’une des plus importantes, c’est la suspension de la toilette mortuaire. L’argument est très simple : c’est la préservation de la vie de celui qui va procéder à la toilette. »
Le CFCM s’est appuyé sur les recommandations du Haut Conseil de la Santé publique (HCSP) qui mettent en avant le principe de précaution. « L’avis du 18 février est clair : une personne décédée du coronavirus peut contaminer celui qui le touche. Le risque était donc avéré ».
Dès lors, comment réconforter les croyants et les aider à accepter ce qui, parfois, relève de l’inacceptable ? « Toutes les personnes décédées dans les conditions d’épidémie sont élevées au rang de martyr, explique Mohammed Moussaoui. La toilette est interdite sur un martyr de guerre, mort sur le champ de bataille, il est enterré avec ses habits. Seule la prière funéraire est faite. »
Un manque de carrés musulmans
L’implantation généralisée de carrés musulmans est une revendication ancienne des associations musulmanes depuis une vingtaine d’années. Si elles le réclament, c’est pour des impératifs rituels, le défunt couché sur le flanc doit avoir le visage tourné vers La Mecque. «S’il y a une nécessité de carrés confessionnels, ce n’est pas parce que les musulmans ne veulent pas reposer en terre avec des défunts de confessions religieuses différentes», souligne le président du CFCM.
Les « carrés musulmans sont saturés et l’augmentation du nombre de décès fait que nous sommes en situation de pénurie totale », affirme Anouar Kbibech, ancien président Conseil français du culte musulman.
L’impossible rapatriement, un casse-tête pour les familles
Ces « martyrs » du covid-19 devront également pour la plupart être enterrés en France, les liaisons aériennes étant totalement suspendues. Une trahison pour nombre de familles dont les membres ont choisi d’être enterrés dans leur pays d’origine. « À ma connaissance, les défunts d’origine turque peuvent toujours être rapatriés, il y a un système de vol cargo mais sans accompagnateur. L’Algérie, il me semble, est en train de le mettre en place et le Maroc étudie la question. Le rapatriement est donc parfois possible, mais sans la famille », précise le président du CFCM.
Mohammed Moussaoui rappelle toutefois que « la tradition musulmane veut que l’on soit enterré là où l’on meurt. Le transport des corps est une dérogation religieuse quand il y a une nécessité. Aujourd’hui on peut avancer qu’en France, il n’y a pas de concession perpétuelle ». Cinq, dix, vingt, trente ans… difficile d’imposer à ses proches de s’acquitter du renouvellement d’une concession.
« C’est une raison valable pour dire que l’on préfère être enterré là où la concession est perpétuelle », ajoute le président du CFCM.
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