Après la polémique concernant la vente des données des utilisateurs de l’application Muslim Pro à des plateformes de courtiers qui transfert ses mêmes données à l’armée américaine notamment, des internautes ont enquêté pour connaître l »identité des dirigeants de l’application phares téléchargée par plus de 98 millions de musulmans à travers le monde.
Derrière cette réussite se cache Erwan Macé, entrepreneur de la Tech, Français installé depuis 2009 à Singapour et non musulman. Travailleur et volubile, il confie son histoire au magazine local Le Petit Journal.
« A presque 45 ans, Erwan a passé environ 15 ans à Singapour, en intermittence, au gré des ses opportunités professionnelles. Elève de seconde et de 1ère au Lycée Français de Singapour, Erwan est envoyé brutalement par ses parents passer son bac à Paris. Le prestigieux Lycée Henri IV lui ouvre ses portes où, après un temps d’adaptation, il réussit brillamment. Hésitant sur ses choix professionnels, business ou ingénieur, il fait une maitrise à Paris-Dauphine et s’inscrit en parallèle à l’Institut National des Télécommunications. Passionné de culture indonésienne, il s’inscrit à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales). Déterminé, il se promet de repartir en Asie du Sud-Est; ce qu’il fait le lendemain de la fin de ses études en février 1997 et apprend à saisir les opportunités où elles se trouvent. Retour en Europe puis à Paris, où il est embauché par Vivendi, comme CTO de la branche Vivendi Mobile Entertainment. Ce qu’il va y apprendre et y développer sera déterminant pour son succès futur. En 2009, sa femme singapourienne et avocate trouve un emploi à Singapour. Il quitte à regret « mais en très bons termes Vivendi et son patron ». A son arrivée, il crée une société de consultant , « bitsmedia », et a comme premier client… Vivendi. Sa mission : développer pour son ancienne société une appli pour l’iphone, produit relativement nouveau sur le marché. C’est le début de l’App Store, il s’y engouffre avec délices. Sur son temps libre, il développe ses propres applis « pour tester le marché ».
La naissance de Muslim Pro
« Je connais bien l’Indonésie, sa culture, sa langue, j’ai une intuition en 2010 que ce pays va devenir le prochain Eldorado d’Internet mobile ». Son histoire personnelle se mêle alors à ses recherches professionnelles. « A l’époque, ma femme singapourienne de confession musulmane téléphone à sa soeur pour connaître les heures de rupture du jeûne pendant le Ramadan ». En août 2010, il lance son appli dans le plus grand pays musulman de monde, l’Indonésie: une appli pour connaître les heures de rupture du jeûne durant le Ramadan et, le reste de l’année, les horaires des 5 prières quotidiennes. Il se sert de la boussole de l’iPhone pour indiquer aux fidèles la direction de la Mecque et propose des traductions de Sourates du Coran. C’est la toute première version de Muslim Pro. « Mais je me suis planté dans mon pays test ! » confie-t-il. Cependant, très vite, il se rend compte que son appli est téléchargée par les minorités musulmanes dans les pays occidentaux à fort pouvoir d’achat, par ceux qui possèdent des iPhones : en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis: « ça commence à bien marcher : il y a en moyenne 1000/2000 téléchargements par jour ». En 2011, il rejoint Google à Singapour et devient « évangéliste ». Cela ne s’invente pas ! Dans le jargon du métier, cela signifie qu’il est chargé des relations avec les développeurs pour les aider à créer de meilleurs sites et applis.
Et là, deuxième coup de chance. Pour éviter les conflits d’intérêt, Google lui demande de fermer les applis qu’il avait créées pour son compte personnel, sauf … Muslim Pro. « Google savait qu’ils n’allaient pas créer une appli concernant les religions ». Et il ajoute: « cette expérience professionnelle m’a servi. Auprès des développeurs, je partage les meilleures pratiques conseillées par Google et je me les applique donc à mes propres projet. Je m’étais engagé à ne travailler que 5 heures par semaine sur Muslim Pro, contrat que j’ai respecté. En 2012, cette appli est téléchargée par 2 millions de personnes. Les revenus générés représentaient l’équivalent de mon salaire chez Google. La question s’est posée et je me suis donc lancée à 100% ».
Les raisons d’un succès
Aujourd’hui, Muslim Pro a été téléchargée par 55 millions de personnes sur smartphone, avec en moyenne 30.000 à 40.000 téléchargements par jour et des pics à 400.000 pendant le Ramadan. C’est la 2ème appli à Singapour après Grab qui oscille autour des 80 millions de téléchargements.
Une question brûle alors les lèvres. Comment un Breton, certes habile mais pas de confession musulmane a pu percer ce marché si particulier ?
« J’ai dû travailler sans à priori sur les besoins de cette communauté, ce qui m’a obligé à garder, plus que quiconque une neutralité. Je ne dépends d’aucune Ecole de pensée, d’aucune mosquée. Cet énorme travail sur le contenu a fait que Muslim Pro a pu s’adresser aux plus grands nombres : que l’on soit musulmans d’Asie, du Maghreb ou d’ailleurs, cette appli s’adresse à tous les croyants. » Et, ajoute-t-il « Mon expertise Tech. a également joué. Je suis passionné des lignes de codes et par l’optimisation utilisateur la plus fluide et intéressante possible ».
Racheté en juillet 2017 par une banque malaisienne et un fond de Private Equity singapourien et fort d’une équipe de 12 personnes, Muslim Pro espère encore conquérir, en s’ouvrant à tous les aspects de la culture musulmane : possibilité de faire des dons en ligne, choisir son restaurant Hallal ….
Et, puis avant de partir, cet entrepreneur tient à me montrer une des devises de sa société « Don’t fix it if it ain’t broken ». A méditer. »