Les Ouighours sont une communauté musulmane turcophone qui vit dans le Xinjiang ou Turkestan oriental, une province chinoise longtemps exemptée de la politique de l’enfant unique, où se pratique un islam ancien et modéré à 3000 kilomètres de Pékin. Mais suite à la chute de l’URSS en 1989, le parti communiste chinois a craint une sécession du Turkestan oriental et a donc mené une politique, dite d’assimilation, visant à détruire tout modèle culturel, identitaire ou religieux différent de celui instauré par les Hans, l’ethnie majoritaire en Chine.
Depuis les musulmans de Chine vivent sous le joug tyrannique des autorités chinoises. Les rescapés de cette répression qui ont fui la Chine tentent, aujourd’hui, par tous les moyens d’interpeller la communauté internationale sur leurs conditions de vie en Chine.
Au large du Bosphore, à Uskudar à Istanbul, devant la fameuse Tour de Léandre, un groupe de jeunes Ouighours contemplent le coucher du soleil. Loin de leur famille et du pays qui les a chassé, ils caressent du bout des doigts l’espoir de repartir un jour dans leur pays sans craindre une quelconque répression du fait de leur religion. Abdulrahman, un de ces jeunes, aujourd’hui étudiant à Istanbul, nous raconte son périple du Turkestan oriental, en passant par le Caire jusqu’en Turquie:
Quelle est la situation des Ouighours en Chine ?
Les Ouighours connaissent une situation lamentable en Chine, 3 millions de Ouighours sont en prison ou dans des camps d’internement. Les jeunes filles Ouighours sont violées dans les camps par les gardes, et elles sont ensuite envoyées dans des maisons lorsqu’elles tombent enceintes. 500 000 enfants ouighours ont été déportés de force dans les camps d’enfants, ou ce que le gouvernement appelle des centres d’orphelinat.
Depuis quand les ouighours connaissent-ils cette situation ?
Il y avait des problèmes et des tensions entre les Ouighours et les autorités chinoises communistes depuis l’accession au pouvoir du parti communiste en 1949. Le pouvoir communiste a tué de nombreux savants musulmans ainsi que des intellectuels et des artistes. Après la venue de Xi Jin Ping au pouvoir en 2012, la situation des Ouighours a connu un tournant : arrestations arbitraires, internement de masse et disparitions forcées.
Que se passent-ils dans ces camps ?
Dans ces camps les autorités chinoises obligent les Ouighours à chanter des slogans à la gloire du Parti et à apprendre la langue des Hans. Et pour ceux qui n’arrivent pas à l’apprendre rapidement ou qui ne réussissent pas à remplir les objectifs quotidiens, ils sont privés de nourriture, une nourriture infecte. Ils sont également privés de sommeil. Ils sont torturés et obligés de manger de la viande de porc et à subir des injections forcées.
Pourquoi avez-vous quitté la Chine ?
Je l’ai quitté dans le but de faire des études. L’obtention d’un passeport était la chose la plus difficile à avoir en Chine, car c’était très cher, ce n’était accessible qu’aux gens fortunés qui avaient des connections avec le gouvernement. Mon père avait déposé une demande pour avoir un passeport pour aller au hajj mais le gouvernement lui a refusé. Il a persévéré pendant dix ans mais en vain. Finalement il a eu son passeport après avoir changé d’ethnie passant de ouighour à une autre ethnie. Puis le gouvernement a commencé à donner des passeports et c’est comme ça que j’ai pu avoir mon passeport. J’ai donc pensé à aller étudier trois ou quatre ans à l’étranger, en Egypte, le temps que la situation s’apaise car la répression se durcissait contre les musulmans notamment en ce qui concernait la pratique religieuse.
Que s’est-il passé en Egypte ?
Le 4 mai 2017 au soir, les forces de sécurité égyptiennes ont arrêtées les étudiants Ouighours de l’université al-Azhar. Après cet incident j’ai fui avec d’autres étudiants le Caire pour aller à Alexandrie, mais nous avons été arrêtés à l’aéroport d’Alexandrie. Nous étions plus de cent étudiants, 80 ont été libérés et 20 ont été livrés à la Chine.
Vous avez donc été « vendus » d’une certaine manière par l’Egypte ?
L’Egypte est à la tête des pays du Moyen-Orient à avoir accepté à participer au projet chinois « Routes de la Soie » et le canal de Suez est un des point de cette route, c’est pour cela que la Chine investit énormément en Egypte. Ainsi devant ces investissements le gouvernement égyptien est incapable de refuser une demande d’extradition des étudiants Ouighours à la Chine. Nous craignons que ce soit le début de la colonisation chinoise en Egypte.
Vous avez réussi à quitter l’Egypte finalement.
Oui, nous avons été relâchés par les autorités égyptiennes, puis nous avons d’abord pris un vol pour Djeddah puis nous sommes venus ici en Turquie où nous avons repris nos études en théologie islamique.