Sirine est l’adolescente musulmane âgée de 15 ans qui a été exclue du collège des Prunais, à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne), vendredi, car selon le conseil de discipline, elle portait au sein de l’établissement des "signes religieux"

"Elle portait un bandeau de cinq centimètres et une jupe longue. Le conseil de discipline a estimé que les deux associés, c’était un signe religieux. C’est n’importe quoi", a déploré Fatiha Ben Yahiaten, la mère de la jeune fille.

Voici la magnifique lettre sincère et remplie d’émotion, parue sur Liberation.fr de MARWAN MOHAMMED (Sociologue, vice-président de l’association C’noues à Villiers-sur-Marne), qui soutient l’appel "Contre une loi stigmatisante- Pour une commission sur l’islamophobie".

J’imagine que tu ne te sens pas très bien en ce moment. Tu dois te demander quand cette épreuve s’arrêtera. Tu passes en conseil de discipline ce matin dans ton collège de Villiers-sur-Marne. Depuis le 4 décembre, il t’est reproché de porter un bandeau frontal, d’une largeur de 10 centimètres selon la police, ainsi qu’une longue jupe. Les deux tiers de ta chevelure sont apparents mais, pour ton collège, c’est encore trop ostensible, trop islamique, trop transgressif. Pourtant, depuis que tu as décidé de porter un hijab – liberté que je respecte et choix impopulaire qui t’appartient, tout comme ton corps -, tu te soumets chaque matin en arrivant au collège, et je sais que c’est un sacrifice, au dévoilement imposé par la loi du 15 mars 2004. Pour avoir étudié cette loi, je considère que tu es dans ton droit lorsque tu refuses d’ôter ton bandeau ou de raccourcir ta jupe.

J’ai appris que d’autres élèves, pour ressembler à Rihanna ou parce qu’elles étaient mal coiffées, venaient parfois avec des bandanas ou des bandeaux entourant leur front, ou que la jupe longue était prisée de quelques-unes. Cette inégalité de traitement, tu me l’as dit, est l’une des motivations de ta résistance. Tu es donc, depuis plus de trois mois, sanctionnée pour ton indocilité, sans décision administrative formelle. Et quelle sanction ! Interdiction d’aller en classe, interdiction d’aller à la récréation et interdiction de parler avec les autres élèves, y compris ceux qui rejoignaient ton petit bagne, en salle de permanence. Une «mise au placard» scolaire et l’échec qui va avec.

Au début, je n’ai pas compris pourquoi ta maman, que je connais bien, avait mis autant de temps avant de nous informer. Elle m’a alors expliqué qu’elle avait multiplié les démarches, sans résultat, malgré ta santé physique et psychologique, qui est, ton collège le sait, très fragile. Même la lettre de ton médecin n’a guère modifié ton statut de paria. Je sais qu’au sein de la vie scolaire, ils ne sont pas en phase avec ta mise à l’écart qui leur est imposée, qu’ils tentent, par le dialogue, d’apaiser ce que tu éprouves. J’ai lu le témoignage d’un ex-surveillant, écœuré par ton sort et «l’odeur nauséabonde» qui, selon lui, a permis une telle union sacrée contre toi et ton misérable bandeau. Sans parler de la mauvaise foi de la direction qui, au départ, t’a accusée d’être un danger pour les autres dans les escaliers à cause de ta longue jupe. Quant aux enseignants, une poignée d’entre eux, laïcards et islamophobes, appuie depuis le départ cette démarche. Les autres – pourtant j’en appréciais quelques-uns – se sont ralliés en signant une déposition collective auprès du Conseil d’Etat. Concernant leur attitude, je n’ai pas d’explication précise à t’apporter, la construction d’un consensus est toujours complexe. Retiens que le climat idéologique a changé dans ce pays, que l’approbation de ta mise à l’écart suppose un réel mépris, sans oublier que c’est ta principale qui fait leur emploi du temps et contribue à leur avancement. Je pense aussi qu’ils t’en veulent, par ton indocilité, d’agir comme une sorte de miroir. Ton histoire les révèle à eux-mêmes. Je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’en s’acharnant sur ton bandeau et ta liberté, ils pensent sincèrement défendre la laïcité. J’ai ensuite appris que ta principale avait obtenu le soutien des représentants des parents d’élève. Ils n’ont même pas pris le temps de vous rencontrer, de confronter les versions. Je dois t’avouer que je suis autant écœuré de l’acharnement que de l’indifférence qui l’entoure.

Je me demande comment, du haut de tes 15 ans, tu perçois l’école, la justice, ton pays, ton avenir et comment tes enseignants réagiraient si leurs enfants subissaient de telles humiliations ? Pour autant, je t’invite à ne pas généraliser. Dans cette affaire, les protagonistes n’incarnent pas, je l’espère, une position majoritaire. Il y a des directions et équipes éducatives raisonnables.

Début mars, un article du Parisien a témoigné de ta situation, après que le juge du tribunal administratif de Melun en reconnaisse l’irrégularité (6 mars). Ces deux moments t’ont apporté un espoir qu’une autre décision, celle du Conseil d’Etat, a anéanti. Je vais essayer de t’expliquer comment cela a pu arriver. Le tribunal, qui s’est intéressé au fond de l’affaire, a reconnu que ton cas relevait d’une urgence. Il a considéré que ton droit à l’éducation était malmené et a contesté le recours à la loi du 15 mars 2004. Ni cette loi ni le règlement intérieur de ton collège n’affirment que le bandeau est assimilable à un signe religieux ostensible… encore moins une jupe longue. Un bandeau frontal n’a rien d’une prescription islamique.

Mais ils ont fait appel de la décision : direction le Conseil d’Etat. Le 18 mars, celui-ci a donné plus de crédit à la version du collège qu’à la tienne. Ta principale prétend en effet que les éléments de cours qui t’étaient fournis suffisaient pour éviter le sacrifice de ton année scolaire et de ton brevet. Ce qui est faux. Comment des cours incomplets et sans enseignants peuvent-ils suffire ? Ensuite, les convocations de tes parents, la poignée d’échanges écrits ou oraux qui ont suivi, ont été considérées comme la preuve qu’un «dialogue» existait. La loi dont je t’ai parlé impose l’existence d’un tel dialogue. Dans les faits, il a pris la forme d’ultimatum : c’était soit la soumission, soit l’exclusion. C’est souvent comme ça que les institutions puissantes «dialoguent» avec des contestataires sans pouvoir ni valeur sociale ou symbolique. Malgré cela, la procédure a été jugée conforme. Or, sur le fond, le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé sur l’urgence de ta situation. Puis, il a émis des doutes sur le caractère religieux de ton bandeau, donc des doutes sur la légitimité de la procédure, mais tant que celle-ci est conforme… Le doute a profité à l’administration, contrairement à ce que stipule la Convention internationale des droits de l’enfant qui privilégie «l’intérêt supérieur de l’enfant». Reste à savoir si tu es encore une enfant à leurs yeux.

Quel est le bilan de tout ça ? Ton exclusion se profile, ta santé ne s’est pas améliorée – plutôt déprimée, m’a dit ta mère -, ton année scolaire est quasiment fichue et les procédures sont ruineuses pour votre modeste budget.

A part la dignité fixée à ton front, tu as, pour l’instant, perdu sur tous les autres. Comme toi, je me rends compte que ta parole, ta liberté ainsi que ton avenir scolaire n’ont pas pesé bien lourd. Et ne crois pas trop, à l’avenir, à un job d’assistante maternelle ou dans le privé. Le parti politique pour lequel ton entourage a donné sa voix à l’élection présidentielle envisage d’achever la marginalisation des femmes dont l’islamité est jugée trop visible. Cet acharnement est névrotique et, malheureusement, Frantz Fanon est mort.

Sache, pour finir, que tu n’es pas isolée. Ta famille, tes amis, plusieurs associations sont à tes côtés. Le Collectif contre l’islamophobie en France s’est mobilisé. Plusieurs personnes, pas seulement des musulmans, souhaitent participer au financement de vos frais d’avocat. Des enseignants informés de ton histoire se sont proposés de se substituer aux tiens, si tu en as la force, pour ta réussite au brevet. Tout n’est pas négatif. Courage.

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