Au tournant du 20e siècle, Léopold II, roi des Belges, mena pendant près de 20 ans une politique de mise en esclavage et d’extermination de la moitié de la population de la RDC. Un bilan humain s’élevant à 10 millions de morts, selon site African History.
Zoom sur l’un des pires crimes coloniaux, et particulièrement sur la pratique barbare qui consistait à couper des mains.
A ce sujet, Rosa Amélia Plumelle-Uribe, historienne africaine-colombienne, nous livre un témoignage profondément marquant, retraçant cette période sombre de l’histoire…
« Notre village s’appelait Waniendo, du nom de notre chef Niendo (…) nous n’avions jamais fait la guerre dans notre pays et pour toute arme ou presque les hommes avaient des couteaux (…)
Nous étions tous occupés à biner nos plantations dans les champs car c’était la saison des pluies et les mauvaises herbes poussaient vite, quand un messager est arrivé au village pour nous prévenir qu’approchait un groupe d’hommes important, que tous portaient des casquettes rouges et des vêtements bleus, et aussi des fusils et des longs couteaux, et que beaucoup d’hommes blancs l’accompagnaient dont le chef était Kibalanga (nom africain d’Oscar Michaux, officier de la force publique qui reçut une épée d’honneur des propres mains de Leopold II) (…)
Le lendemain matin, peu après le lever du soleil sur la colline, un groupe important de soldat est entré dans le village (…) ils se sont précipités dans les maisons et en ont sorti les gens de force. Trois ou quatre ont pénétré dans notre maison et ils m’ont attrapée ainsi que mon mari Oleka et ma sœur Katinga. Ils nous ont traînés sur la route, et liés ensemble avec des cordes, autour du cou, afin de nous empêcher de nous échapper. Nous pleurions tous, car nous savions que nous allions être emmenés comme esclaves. Les soldats nous ont battus avec des bâtons de fer de leurs fusils et obligés à marcher jusqu’au camp de Kibalanga qui a donné l’ordre d’enchaîner les femmes séparément, dix par cordes, et les hommes de la même façon.
Quand nous avons tous été rassemblés – et nous nous sommes alors aperçus qu’il y avait beaucoup de monde d’autres villages, et beaucoup d’habitants de Waniendo –, les soldats nous ont apportés des paniers de nourriture à porter, dans certains desquels il y avait de la viande humaine fumée (…)
Nous nous sommes alors mis très rapidement en marche, ma sœur Katinga avait son bébé dans les bras et n’était pas obligée de porter un panier, mais mon mari Oleka a été forcé de porter une chèvre. Nous avons marché jusqu’à l’après-midi. Nous avons campé près d’un cour d’eau où nous avons été contents de boire, car nous étions assoiffés. Nous n’avions rien mangé car les soldats ne nous donnaient rien. (…)
Au cinquième jour (…) les soldats ont pris le bébé de ma sœur et l’ont jeté dans l’herbe et laissé mourir là, et ont obligé ma sœur à porter des chaudrons qu’ils avaient trouvés dans le village abandonné. Le sixième jour, à force de ne pas manger, de marcher sans relâche et de dormir dans l’herbe humide, nous étions épuisés et mon mari, qui marchait derrière nous avec la chèvre, ne pouvait plus se tenir debout. Alors il s’est assis sur le bord du chemin et a refusé d’aller plus loin. Les soldats l’ont battu, mais il a persisté dans son refus.
Puis l’un d’eux l’a frappé sur la tête du bout de son fusil, et il est tombé par terre. Un des soldats a attrapé la chèvre, pendant que deux ou trois autres transperçaient mon mari avec les longs couteaux qu’ils placent au bout de leurs fusils. J’ai vu le sang jaillir, et puis je ne l’ai plus vu, car nous venions de franchir le sommet d’une colline, et il avait disparu. Beaucoup des hommes jeunes ont été tués de la même façon, et beaucoup de bébés jetés dans l’herbe pour y mourir ».